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Faune de Guyane française (batraciens, reptiles, invertébrés).

Le pays de Sekumi-tapi-len



Texte de Rémi Ksas et photos de Frank Deschandol.

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Écoutez les chants des batraciens de Guyane:

par l'association CERATO, Association herpétologique de Guyane et le "Guide sonore des amphibiens anoures de Guyane", 1999, de Christian MARTY & Philippe GAUCHER.

Prologue

La Guyane est bien connue pour sa grande diversité floristique et faunistique. Il est difficile d'expliquer la sensation que l'on éprouve lorsque l'on marche en forêt, au milieu de cette profusion de vie, visible ou invisible.

sous-bois, © Frank Deschandol

Hypsiboas en sous-bois, © Frank Deschandol

Le pays de Sekumi-tapi-len

La première impression que l'on ressent en forêt est la démesure: des arbres de plus de 40 mètres de haut, des papillons gigantesques aux couleurs chatoyantes, des feuilles énormes qui vous donnent l'impression d'être une fourmi au milieu d'un champ...
Puis vient ensuite l'étonnement de ne voir que peu d'animaux alors qu'un bruit incessant vous entoure, que ce soit le chant des grenouilles, des oiseaux, des insectes ou parfois des cris de singes. Après quelques minutes infructueuses, la forêt s'offre à vous. Peu à peu, l'œil s'exerce à découvrir la vie alentour malgré le mimétisme parfois excellent. C'est là que vous commercez à apercevoir les phasmes et autres insectes, les lézards et parfois, au détour d'une souche, Dagwe vous guette, imperturbable, sûr de son camouflage. Dagwe, nous le connaissons sous le nom de Boa constrictor constrictor. Pour les Bonis, ce magnifique serpent est un "Papa Gadu", un être malfaisant. Si, par malheur, il est tué volontairement, la mort s'abattra sur le coupable.

Boa c. constrictor
Boa constrictor constrictor, © Frank Deschandol.

Les serpents

Les serpents sont sujets à bien des croyances chez les amérindiens, et plus particulièrement les Boïdés, les Crotalinés, les Elapidés, quelques Colubridés fouisseurs du genre Atractus et les reptiles apodes tels les amphisbènes. C'est ainsi que Sekumi-tapi-len (Corallus hortulanus cooki) ou boa de Cook, Epicrates cenchria cenchria ou boa arc-en-ciel et le boa constrictor ne doivent, en aucun cas, être tués sous peine qu'un malheur ne s'abatte sur la famille. Au contraire, Kulewako imio (Corallus caninus) ou boa canin doit être tué si on le rencontre, sinon le présage de malheur qu'il représente se réalisera. En effet, ce serpent est un "serpent présage" au même titre que les Atractus et les amphisbènes qui subissent un sort identique. Donc, avis aux terrariophiles, n'invitez jamais un amérindien pour visiter votre installation!
Revenons à Sekumi-tapi-len; ce magnifique boa de Cook est très commun en Guyane. On le trouve surtout dans les zones marécageuses, ou au bord des fleuves, d'où son nom créole de "Grage marécage". Il faut savoir que le terme "grage" désigne les Crotalinés du genre Bothrops (B. atrox et B. brazili), ainsi que le plus grand d'entre eux, Lachesis muta.  Le boa de Cook est facilement repérable lors des marches nocturnes: c'est le seul serpent guyanais (avec Corallus caninus) à avoir les yeux qui réfléchissent la lumière; ainsi, lorsque le faisceau de la lampe lui passe dessus, on aperçoit un ou deux points fortement lumineux. C'est un serpent aux colorations variées: il peut être beige, orange, jaune, marron avec ou sans marques sur le corps. Il est réputé assez "mordeur", mais, jusqu'à présent, les individus que j'ai pu observer se sont révélés assez dociles à l'exception d'un jeune qui m'a fait découvrir sa dentition de près!!!
Les sorties nocturnes sont idéales pour observer les serpents. Ainsi, on peut rencontrer Bothrops atrox, un Crotaliné superbe mais dont on doit se méfier, car il est irascible et son venin est assez dangereux. Cette espèce a une activité nocturne au cours de laquelle elle chasse à l'affût les amphibiens (quel "couillon", note de Pierre-Yves) et petits mammifères. Il n'est pas rare de rencontrer ce "grage" près des cours d'eau où il guette les grenouilles ("m'en vais faire une expédition punitive!", note de Pierre-Yves). La journée, il est lové dans une souche ou dans la végétation.


Eunectes murinus, © Frank Deschandol

Bothrops atrox, © Frank Deschandol

Corallus hortolanus, © Frank Deschandol

Leptodeira annulata, © Frank Deschandol

Oxybelis aeneus, © Frank Deschandol

Lachesis muta, © Frank Deschandol

Chironius fuscus, © Frank Deschandol

Micrurus lemniscatus, © Frank Deschandol

Siphlophis compressus, © Frank Deschandol


Les invertébrés

Hormis les ophidiens, on peut également rencontrer des mygales. Les espèces arboricoles sont facilement repérables, car, la nuit, elles se tiennent sur les arbres en dehors de leur toile où elles se cachent durant la journée. C'est ainsi qu'on peut observer Tapinauchenius purpureus, Avicularia avicularia, Avicularia metallica; pour ce qui est des espèces terricoles, il faut explorer les abords des chablis (arbres tombés au sol). Les araignées géantes se tiennent à la sortie de leur terrier. Une des plus grandes mygales du monde, Theraphosa leblondi, d'environ 25cm de diamètre pattes comprises, ainsi que Ephebopus cyanognathus, murinus et rufescens se trouvent dans ce genre de biotope.
Les espèces terricoles peuvent être délogées à l'aide d'une brindille que l'on introduit à l'entrée du terrier. En titillant la toile plus ou moins longtemps, on provoque une réaction d'attaque plus ou moins forte suivant l'espèce.
S'il est rare de faire sortir entièrement les Ephebopus, les Teraphosa, quant à elles, se laissent facilement déloger; gare tout de même aux poils urticants qu'elles n'hésitent pas à projeter.
Les espèces arboricoles sont nettement plus simples à déloger, leur cache se résumant bien souvent à une simple toile en tube. Mais, la plupart du temps, dès qu'elle sortent de leur abri, elles partent rapidement se dissimuler ailleurs. Avec un peu plus d'attention, on peut voir de nombreux phasmes et mantes religieuses (phasmes brindille, phasmes ailés, mantes feuilles, mantes brindille...), ainsi que les fameux criquets-phasmes qui affectionnent les ronces. Les phasmes se rencontrent sur leurs plantes favorites. Chaque espèce affectionne une plante spécifique, ce qui permet de savoir à peu près ce que l'on trouve sur tel ou tel arbre ou arbuste. A l'instar de Oreophoetes peruana, certaines espèces guyanaises possèdent une arme redoutable: elle consiste à projeter une substance irritante sur son agresseur. C'est le cas des espèces du genre Phasma et Paraphasma. Un des géants, Titanus giganteus avoisine les 17 cm !!! Certaines familles comme les Fulgoridae montrent des colorations brillantes et variées.


Listroscelis sp., © Frank Deschandol

Lystrinae sp., © Frank Deschandol

Orthoptère, © Frank Deschandol

Pterochroza ocellata, © Frank Deschandol

Steirodon sp, © Frank Deschandol

Theraphosa blondi, © Frank Deschandol

Titanus giganteus, © Frank Deschandol

Ischonocodia sp, © Frank Deschandol

Fulgoridae, © Frank Deschandol

Les batraciens

La nuit est aussi le moment idéal pour observer les amphibiens. L'espèce la plus fréquemment rencontrée est le crapaud buffle ou agua (Rhinella (Bufo) marina) dont la femelle peut atteindre 25cm, et qui peut faire preuve d'une grande curiosité. On peut également rencontrer des grenouilles du genre Dendropsophus, Hypsiboas, Trachycephalus et Phyllomedusa.
Autre bête fascinante de cette forêt primaire, le dendrobate. Leurs biotopes favoris sont les zones humides fraîches où poussent les orchidées et les épiphytes, site de ponte de ces grenouilles arboricoles ou semi-arboricoles. En Guyane,fraîcheur rime avec altitude; ces biotopes se situent donc au dessus de 100m du niveau de la mer («pas mal pour faire des descentes en VTT ou du ski, à la limite du bob tout terrain»! encore un bêtise de Pierre-Yves...!). Le dendrobate le plus connu de la Guyane est sans nul doute Dendrobates tinctorius. ;Il en existe de multiples variétés de coloration allant de noir, jaune et bleu, au noir à dominante jaune.
Ranitomeya ventrimaculata, petite espèce arboricole, n'a rien à envier à la précédente. Ses couleurs sont magnifiques et de teinte métallique du plus bel effet. On la trouve en hauteur dans les arbres où elle vit et se reproduit sur les épiphytes. Sa taille est très petite (2cm) alors que Dendrobates tinctorius peut atteindre 5-7cm selon sa provenance.
Si Ranitomeya ventrimaculata se rencontre seulement en hauteur, Dendrobates tinctorius s'observe principalement au sol ou dans la végétation basse (de 0 à 5m). Le biotope idéal pour les observer est une zone de chablis recouverte de mousses et d'épiphytes. Si un arbre fruitier est présent, c'est encore mieux car les fruits tombés au sol attireront de nombreux petits insectes dont les dendrobates sont friands. A noter la présence impromptue et nouvelle observée par Rémi Ksas d'Epipedobates trivittatus dans la région du Haut Maroni.


Rhinella marina femelle, © Frank Deschandol

Rhinella marina mâle, © Frank Deschandol

Scinax ruber, © Frank Deschandol

Dendropsophus minutus, © Frank Deschandol

Hyalinobatrachium cappellei, © Frank Deschandol

Hypsiboas multifasciatus, © Frank Deschandol

Pristimantis chiastonotuss, © Frank Deschandol

Leptodactylus knudensis, © Frank Deschandol

Leptodactylus rhodomystax, © Frank Deschandol

Rhinella merianae, © Frank Deschandol

Rhinella castaneotica, © Frank Deschandol

phyllomedusa vaillanti, © Frank Deschandol

Dendrobates tinctorius, © Frank Deschandol

Dendrobates tinctorius, © Frank Deschandol

Dendrobates tinctorius, © Frank Deschandol

Les lézards

Pour ce qui est des lézards, la nuit ne présente que peu d'intérêt. Le moment le plus propice est l'après-midi pour les sauriens éliophiles. On peut ainsi observer de très nombreux Ameiva ameiva, des téjus (Tupinambis nigropunctatus), ou encore Cnemidophorus lemniscatus, un superbe lézard parthénogénétique. Les femelles de cette espèce ont la particularité de pondre des oeufs viables sans fécondation préalable. Les Cnemidophorus sont originaires de la région de Mana (ouest guyanais), où l'on trouve les fabuleuses forêts sur sable blanc. L'utilisation de ce sable dans tout le département a étendu l'aire de répartition de cette espèce. Toutefois il semble que seules les femelles aient colonisé les nouvelles aires de répartition.


Cnemidophorus lemniscatus, © Frank Deschandol

Iguana iguana, © Frank Deschandol

Gonatodes annularis, © Frank Deschandol

Anolis ortonii, © Frank Deschandol

Neusticurus rudis, © Frank Deschandol

Mabuya surinamensis, © Frank Deschandol

En scrutant les troncs des arbres, des Plica plica et des Uranoscodon superciliosa détonnent par leur agilité et leur rapidité qui les rend insaisissables. En prêtant attention à l'endroit où l'on met le pied, des petits geckonidés du genre Gonatodes, Lepidoblepharis et Pseudogonatodes pourront éviter de finir aplatis sous vos semelles. Il s'agit de très petits lézards ne dépassant pas 7-8cm et vivant au milieu des feuilles mortes.
On peut également observer quelques Anolis nitens chrysopelis, superbe animal au fanon gulaire bleu vif. Sortons un instant de la forêt pour parler d'Anolis marmoratus speciosus, superbe espèce des jardins de Cayenne; il présente une coloration verte avec la queue bleue turquoise. Son fanon gulaire est orange vif. Cette espèce, bien que très commune à Cayenne, a été introduite et est originaire de Guadeloupe.
Retournons à présent en forêt pour parler du très célèbre Iguana iguana, autrefois très répandu en Guyane. Actuellement, il est en constante régression sur le territoire à cause d'une pression de chasse excessive. Malheureusement, les endroits où on le voit le plus souvent sont les marchés où il est vendu vivant, les pattes liées. L'iguane apprécie les forêts marécageuses. On peut l'apercevoir en train de se dorer au soleil, perché à plus de 10 mètres de haut. Durant les mois de novembre et décembre, les jeunes commencent à éclore. Les pontes ont lieu en août et septembre au moment où les bancs de sable des fleuves sont découverts, terrain idéal pour les femelles.


Les tortues

Les marchés sont un lieu où l'on peut voir Geochelone carbonaria (tortue charbonnière), et Geochelone denticulata. Cette dernière est encore facilement observée, car elle est exclusivement forestière; elle peut donc survivre plus loin dans les terres. Ce n'est pas le cas de Geochelone carbonaria, qui est une espèce des savanes du littoral.
La Guyane compte 10 espèces de tortues, dont 8 aquatiques ou semi aquatiques. La tortue la plus commune est la Rhinoclemmys punctularia punctularia. Elle présente une caractéristique étonnante: certains individus sont à tendance fortement terrestre et d'autres très aquatique. C'est ainsi qu'il est possible de déterminer l'origine de l'individu, par la présence de tiques (individu terrestre) ou recouverts d'algues (individus aquatiques). Cette espèce est peu farouche et elle se laisse facilement observer le long des criques, immobile, nous laissant le plaisir de les admirer.


 
Chelonoidis denticulata, © Frank Deschandol

  Kinosternon scorpioides, © Frank Deschandol

 
Mesoclemmys gibba, © Frank Deschandol

  Platemys platycephala, © Frank Deschandol

Épilogue

La Guyane n'est pas seulement une importante étendue de forêt, il y a également les grandes plages: elles sont le plus grand site de ponte des tortues Luth, superbes mastodontes aquatiques. Malheureusement, le braconnage diminue d'année en année le nombre d'individus venant sur la plage des Hattes (ouest guyanais). De plus, viennent s'ajouter à cela les chiens errants et les vautours qui pillent les nids ou dévorent les jeunes à l'éclosion.
Ceci n'est qu'un survol rapide de la faune guyanaise, il faudrait bien des pages pour parler de tout. La Guyane recèle bien des merveilles et tant reste encore à découvrir...


Paleosuchus trigonatus
Paleosuchus trigonatus, caïman gris, Frank Deschandol.