Si il est un animal dont la présence dans la page du naturaliste peut s'avérer fort discutable, c'est bien ce bel oiseau dont je vais tenter
de vous décrire les moeurs. Je dis "discutable" car cette espèce a disparu depuis une vingtaine d'années du bassin lémanique dont cette rubrique s'en fait la vitrine de la faune.
Mais quelles ont été les raisons qui firent disparaître cet élégant animal de notre paysage? Il y a eu tout d'abord la régression progressive mais inéluctable des bocages et des vergers,
l'éradication des gros insectes par l'emploi immodéré de pesticides et la disparition des vieux arbres à cavité, le tout au profit d'une agriculture intensive. La mentalité "propre en ordre" qui règne également dans nos régions
fait que les vieux murs, les maisons en ruine, doivent être rasés ou bétonnés. Mais je perçois sur la commissure de vos lèvres la question suivante: "de quoi veut-il parler, quel mystérieux animal pourrait bénéficier de tant de désordre inconcevable"?
Je ne vais pas tenir le lecteur en haleine ni le suspense plus longtemps: il s'agit d'un de nos plus élégants oiseaux, la huppe fasciée, Upupa epops en latin, mais ne me demandez pas pourquoi les scientifiques l'ont affublée d'un nom aussi coriace et dur à mâcher!
Bah, en y réfléchissant un peu, c'est certainement à cause de son chant, sorte de "houp, poup, poup", ou encore pour sa huppe, sorte de couvre-chef majestueux et
érectile.
Cet oiseau, d'une envergure d'environ quarante cinq centimètres, d'une longévité de onze années et d'un poids oscillant entre cinquante et
quatre-vingt grammes, est un migrateur qui se réfugie en Afrique à la mauvaise saison. Son plumage roussâtre bariolé de noir est d'une délicatesse
inégalée dans la gente ailée.
Son vol est saccadé et bondissant, un peu à la manière des pics: elle bat rapidement des ailes, puis les ferme et reprend rapidement, ce qui donne un vol ondulé. Vous pouvez, si vous avez une chance
extrême, la voir évoluer dans un verger ancien, près des saules têtards ou encore
dans des pacages entourés de vieux chênes. L'observation des évolutions de la huppe fait penser irrémédiablement à un papillon géant.
Son long bec fin et recourbé lui est particulièrement utile pour la recherche de ses proies favorites qui sont constituées de gros
insectes et de leurs larves qu'elle trouve en sondant les herbages ou le sol: les coléoptères, les sauterelles, les criquets, les papillons, les hannetons, les
courtilières ou encore les lucanes, les mille-pattes, les araignées, les limaces et les vers de terre. Elle est attirée par les crottins des chevaux car ceux-ci attirent aussi les insectes. La huppe est, comme tous les animaux présentés dans les pages du naturaliste, un auxiliaire
très utile des campagnes et jardins.
Tant de beauté et d'utilité ont toutefois quelques inconvénients qui ne sauraient déranger l'olfaction du promeneur: l'odeur de son nid est particulièrement désagréable car, du fait de son
exiguïté, les parents n'arrivent plus à en assurer l'hygiène.
Ceux-ci ainsi que leur progéniture émettent, à l'aide d'une glande située dans le croupion, une sécrétion nauséabonde évoquant la viande en putréfaction saupoudrée de fauve, destinée certainement
à éloigner les prédateurs éventuels.
Qu'à cela ne tienne, rien ne vous oblige à approcher du nid et cette démarche n'est d'ailleurs pas conseillée! Celui-ci est d'ailleurs fort discret car il est souvent logé dans un tronc creux muni d'une fente étroite, généralement
un ancien nid de pic ou une anfractuosité dans un vieux mur.
Le couple, qui arrive du sud vers le mois d'avril, revient souvent à son nid de l'an précédent, s'il n'a pas été détruit. La femelle pond
généralement en juin une couvée de six à sept oeufs qui éclosent au bout d'une vingtaine de jours, les jeunes prenant leur envol un mois après. La femelle s'occupe seule de l'incubation et c'est son galant époux qui lui assure son bilan alimentaire.
Son statut est actuellement très précaire en France, elle a pratiquement disparu de toutes les zones de culture intensive; il subsiste toutefois quelques individus
dans les régions où l'agriculture est restée traditionnelle. Cet oiseau est protégé en annexe II par la convention de Berne (relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe). Je ne l'ai
personnellement observée qu'une seule fois dans le canton de Genève
il y a une dizaine d'années.
Certaines mesures pourraient attirer les rares huppes de passage dans la région: reconstituer des haies et des vergers à haute tige, conserver des vieux murs
et des vieux arbres riches en cavités et finalement poser des nichoirs. Ces mesures intéressent également la chouette chevêche (Athene noctua) dont le statut actuel n'est guère
plus enviable.
Houp, poup, poup, quand t'entendrons-nous à nouveau?
huppe fasciée, Upupa epops, Barjac (30), le 27 novembre 2020. |