N'avez-vous jamais été surpris d'entendre quelques cris perçants, proches de l'inaudible, en furetant dans votre jardin ou en vous prélassant au
bord de votre piscine?
N'avez-vous jamais été surpris par l'impatiente expectative de votre chat qui cherche à bondir sur sa proie mais qui hésite car le cri de
défense inhabituel de celle-ci génère en lui recul et prudence? N'avez-vous jamais soulevé une vieille planche et été surpris par une fugitive silhouette poussant des cris
aigus en proie à une agitation intense proche d'un petit nid de végétaux?
Alors si ce n'est pas encore chose faite, je vous invite à découvrir un petit, très petit mammifère insectivore,
la musaraigne carrelet (Sorex araneus), d'une taille d'environ cinq à huit centimètres et d'un poids variant entre quatre et seize grammes.
Elle ne révèle sa
présence que par son cri et ses bruits de déplacement parmis les feuilles mortes. Son activité est tantôt diurne, tantôt
nocturne et peut se révéler intense surtout en période de reproduction. Ce type d'activité lui confère un métabolisme
accéléré qui réduit considérablement son espérance de vie qui n'excède guère une année. Son cri est généralement plus
"puissant" chez la femelle que chez le mâle: allons donc, et moi qui croyais que les mâles...bon, je m'égare un court
instant!
A propos de reproduction, saviez-vous que ce petit fantôme rase gazon est capable de mettre bas plusieurs nichées de
cinq à sept petits durant la belle saison? La gestation dure une vingtaine de jours et, selon la région et la température,
la maturité sexuelle intervient la même année ou au plus tard l'année suivant la naissance de l'individu.
Les petits deviennent autonomes et quittent le nid une trentaine de jours après la naissance. Un spectacle fort peu courant est celui de la famille
musaraigne se déplaçant à la queue leu leu, chaque individu tenant la queue du précédent, à la manière de certains
éléphants. D'ailleurs, la musaraigne possède un appendice nasal proche de celui du pachyderme, mais que l'on ne s'y
trompe point, ils ne sont pas de la même famille! La fonction de cet appendice est de détecter ses proies enfouies dans
le substrat: vers de terre, escargots, myriapodes, coléoptères, araignées, cloportes et même...des souris. En effet, ce
mammifère primitif chasse les petits rongeurs qu'elle tue en les mordant à la nuque; cette méthode de chasse est
complétée par la présence de venin (la salive, sécrétée par les glandes sous-maxillaires, contient une protéase
neurotoxique) capable de tuer plusieurs dizaines de rongeurs. Certains auteurs mentionnent que la coquille de petits
escargots brisée jusqu'à l'axe de la spire est le signe de la présence de musaraigne.
Si la petite musaraigne ne dévore pas son poids en
nourriture par jour, elle peut mourir en quelques heures. La chaleur, si elle se trouve trop exposée au soleil, peut lui
être fatale.
Les musaraignes possèdent des glandes odorantes, dégageant un parfum digne du renard qui les protège des principaux
prédateurs mammifères. Ceci ne la protège par contre en rien de la mort, par jeu ou attaque du chat; c'est la
dégustation qui s'en suivrait qui poserait un problème au félin affamé. Certains oiseaux, tels les rapaces nocturnes,
semblent s'en accommoder: la chouette effraie l'inclut à plus de 30% dans son festin vespéral. La vipère, les hermines, les pies et autres corvidés s'en "régalent".
Les musaraignes chassent principalement dans la litière du sol, quittant rarement le couvert.
Elle fréquente n'importe quel type de biotope présentant une protection végétale, se faufile dans les terriers de
rongeurs, creuse parfois de galeries courtes et superficielles. Son nid se compose de brindilles d'herbes, de feuilles,
de mousse et comporte plusieurs voies de sortie. Avec ma manie de soulever tout ce qui peut l'être dans la nature lors
de mes recherches de reptiles ou batraciens, il m'est souvent arrivé de la rencontrer ainsi que son nid.
La musaraigne se montre habile grimpeuse et bonne nageuse.
Elle est territoriale et peut se montrer agressive envers ses congénères; mais qui, en dehors des animaux, manifeste de
l'hostilité pour défendre ou accroître son domaine? Je me le demande!
A noter encore que notre prédateur aux dents longues des jardins n'observe pas de repos hivernal et il lui arrive de rentrer dans les maisons.
Je me suis aperçu, ce printemps, qu'une de ces charmantes bestioles avait élu domicile près d'un élevage de vers de
farine utilisé pour la pèche dont elle s'était délectée tout l'hiver: il ne restait plus qu'un amas de chitine vidée de
sa substance nutritive. Coquine, fébrile, agile, gracile, mais très utile!
Sorex araneus, la musaraigne carrelet Photos Guy Bourderionnet. |